Objectivement, clairement, j’ai trop bu. Ceci est à dire avec la satisfaction un peu déclamatoire du type qui pense avoir outrepassé les franges de la civilisation, et s’être enfoncé dans un au-delà qui mélange la perversion et un aspect supérieur. Non, j’ai simplement trop bu. Pour tout dire, malgré la douche froide et la demi-heure je pense à somnoler tête contre la porte du palier, la main tâtonnant vaguement juste pour faire bien pendant que le front au bois je mourrais d’envie de me coucher sur la moquette. Avec cette délicieuse frayeur que la voisine demain me surprenne, alors qu’elle bosse chez le client qui m’occupe tout le temps ces dernières semaines.
J’ai envie de tanguer, de poser ma tête sur les bras où que je sois. J’ai préféré pisser, là où la concierge quasi tous les matins pose son seau. Franchement je ne pouvais aller plus loin. Je me suis contenté de jeter la mallette contre une margelle de trottoir, de baisser la glissière, et de traîner les quelques millièmes de secondes pour sortir de la fermeture éclair ce qui m’a servi à jouer au clochard céleste. Et n’a pas d’autre utilité. J’avais écris « pisser superbement », mais à y bien penser il n’y a rien de superbe à ce qu’un ivrogne dans l’affolement sorte sa bitte pour pisser contre le premier mur où il se dit qu’il ne risque qu’à moitié de se payer la honte.
Dans le dernier bar j’étais le seul crétin en costume-cravate. La mallette de ma servitude pesant lourdement contre un mollet, gênant mes passages. Jusquà ce serveur qui sert de racolage au Raid, tous muscles dehors sur son boxer de petite bitte hyper protéinée, qui cogne et bourre pour montrer qu’il passe entre les tapettes, éventuellement récupère des verres. Le meilleur moment dans ce bar est lorsqu’on en sort, frottant au granit du trottoir ses semelles pleines de verre brisée, se régalant d’être soûl. D’avoir été soûl entre ces regards inquiets.
Pourtant Dieu sait que j’eusse aimé en baiser certains. Non. Bordel j’en aurais bien baisé certains. Pas tant que ça en fait. Horreur de la promiscuité.
Celui qui m’a prodigieusement peloté les épaules en passant, genre excuse-moi je passe mais j’aimerais bien que tu te retournes n’a pas daigné me montrer à quoi il ressemblait. Tant pis. J’ai déjà envoyé chier Steve aujourd’hui, il ne faut pas me demander d’être courageux deux fois. Steve je l’avais fréquenté cet hiver, enfin, l’hiver passé. Il avait brusquement disparu, comme tous, sans rien sans nouvelle. Il a tenté dix mois après de m’envoyer ces méls supérieurs de l’être persuadé qu’on garde son adresse dans son téléphone, et que dans tous les cas on reconnaîtra son style sans qu’il signe. Sauf qu’il est hors de question qu’on reconnaisse son style sans qu’il admette de signer. Qu’il y reste avec ses méls lamentables me traitant de type endurant et cochon, comme si j’avais envie de recevoir ça. Crétin. Fat.
Je me souviens de détails. Je me souviens de ces deux adolescents tout juste pubères (cliché), s’embrassant à côté de leurs copines de collège, clairement hétéro, mais qui jouent aux gouines. Ca embuera leurs yeux lorsqu’elles torcheront leurs chiards. Eux parfois se caressent le bras. Je les trouve laids, mais ce geste de se caresser l’angle du coude me fait crever d’envie.
Je me souviens aussi de ce type dans le métro, qui pour montrer du doigt un détail du plan accroché au chambranle de la voiture fout limite son bras dans la gueule de son voisin, tout aussi bourré que moi à le voir agir. Enfin, je ne sais pas. Clairement, je me suis endormi. Je me demande même comment j’ai pu ne pas me casser la gueule dans la rue.
Ma vie est une belle merde sans aucun approfondissement. Si au moins j’étais parvenu à me faire une belle foire. Même pas. Toujours cet état d’indécision, d’insatisfaction, qui me mène au malheur gris.